« Attention aux holdings animatrices » – Article La Vie Nouvelle du 9 septembre 2022 rédigé par Me Anne Crosnier-Martel

Le dispositif Dutreil transmission appliqué aux sociétés holdings s’est une nouvelle fois immiscé dans l’actualité fiscale au cœur de l’été en donnant lieu à une passe d’armes entre la Cour de cassation et l’administration fiscale laquelle a trouvé son dénouement provisoire lors de l’adoption de la première loi de finances rectificative pour 2022 (article 8 de la loi n°2022-1157 du 16 août 2022).

C’est l’occasion pour nous de revenir sur trois années riches de décisions et de mettre en évidence les difficultés pratiques entourant l’application du pacte Dutreil transmission aux sociétés holdings animatrices de leur groupe.

Pour rappel, le régime Dutreil codifié à l’article 787 B du Code général des impôts (ci-après « CGI ») est un régime de faveur créé en 2004 et destiné à favoriser la transmission des sociétés ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole par l’application d’un abattement de 75% sur la valeur des titres transmis par donation ou à cause de mort, pour peu que certains engagements concernant la direction de l’entreprise et la durée de détention des titres objet de l’engagement soient satisfaits. Ainsi, aux termes de l’engagement Dutreil, les parties devront 1. conserver pendant une durée cumulée de six années les titres objet de la transmission (2 années pour l’engagement collectif de conservation et 4 années pour l’engagement individuel de conservation pesant sur les bénéficiaires de la transmission), ce délai étant réduit de six années à quatre années sous certaines conditions, 2. assurer les fonctions de direction de la société dont les titres sont transmis pendant toute la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la transmission.

Me Anne Crosnier-Martel

Me Anne Crosnier-Martel

Avocat au Barreau de Chambéry

Intervient plus particulièrement en matière de contentieux fiscal, de prévention et règlement de litiges en droit des affaires ainsi que des difficultés des entreprises.
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Une définition de la holding animatrice précisée

Rapidement, la question s’est posée du point de savoir si l’engagement Dutreil était applicable aux sociétés holdings qui outre la détention des titres de leurs filiales participaient à la définition et à la conduite de la politique de celles-ci. Si l’administration fiscale l’avait admis à demi-mot par une tolérance doctrinale, la Cour de cassation jugea que les holdings animatrices étaient éligibles au régime de faveur de plein droit.

Par ailleurs, la Haute Juridiction a également affirmé que l’exonération était applicable aux sociétés holdings mixtes ie aux sociétés qui outre les participations dans les filiales animées détenaient d’autres actifs, à condition que la valeur des participations soit prépondérante.

A cet égard, le juge a heureusement pris soin de préciser que l’appréciation du caractère prépondérant des activités devait être fait au jour de la transmission en fonction de la valeur réelle des actifs à cette date et non en coût historique comme l’administration fiscale le soutenait (Cass. com. 14 octobre 2020 n°18-17.955).

A l’occasion de la mise à jour du BOFIP le 21 décembre 2021, l’administration fiscale a intégré ces différents ajouts jurisprudentiels à sa doctrine.

Une animation difficile à démontrer

Malgré ces clarifications sur le caractère éligible de la holding animatrice, il n’en demeure pas moins que l’application du régime Dutreil à cette dernière demeure un exercice périlleux. En effet, selon la doctrine et la jurisprudence, la holding, pour être considérée comme une holding animatrice, doit participer activement à la conduite de la politique et au contrôle des filiales.

Et, si l’on en croit l’accumulation des décisions défavorables, c’est dans la démonstration in concreto de l’animation effective des filiales que le contribuable pêche, les juridictions se montrant extrêmement exigeantes en la matière. Si l’on dresse un panorama des décisions publiées sur cette question, retenons, en premier lieu, que l’animation des filiales ne doit ni se limiter à un simple rôle d’assistance n’incluant pas la prise de décision pour leur compte (CA Colmar 29 avril 2021, n°213/2021) ni se confondre avec la simple fourniture de prestations administratives par la holding, ces prestations devant au demeurant conserver un caractère accessoire et interne au groupe.

En second lieu, l’animation de la filiale ne doit pas non plus être restreinte à l’exercice des seules prérogatives d’associé de la holding (CA Bourges 19 août 2021, 7 affaires du même jour). Participer aux assemblées générales, éventuellement conclure un pacte d’associés, ne permettent pas d’établir la preuve de l’animation.

Ainsi, pour admettre que la société anime effectivement les filiales, le juge (Cass. com. 03 mars 2021 n°19-22.397 et Cass. com 23 juin 2021 n°19-16.351) attend que le contribuable démontre que la société holding dispose des moyens d’animer son groupe, notamment en personnel, qu’elle met en œuvre de façon effective ces moyens, le tout afin d’établir que la société holding influe concrètement sur la gestion stratégique du groupe et qu’elle décide des orientations qui engagent le groupe et les filiales à long terme.

Le fait de disposer d’une documentation juridique fournie (convention d’animation, rapport des organes de direction, rapport de gestion) est un prérequis indispensable mais insuffisant pour établir l’animation. En effet, cette documentation juridique devra nécessairement être accompagnée d’éléments factuels concrets attestant de l’intervention de la société holding dans les décisions des filiales.

On comprend dès lors que la preuve de l’animation effective sera d’autant plus difficile à établir que les sociétés présentent un management restreint induisant souvent une formalisation très limitée voire inexistante des décisions prises. Ceci est particulièrement le cas des groupes familiaux dans lesquels les fonctions de direction et de contrôle de la holding et des filiales sont assumées par un nombre limité de personnes, et à plus forte raison, lorsqu’elles sont assumées par une unique personne.

Une animation pendant toute la durée de l’engagement

Qui plus est, afin d’anéantir les effets de la décision de la Cour de cassation du 25 mai 2022 (cass. com. 25 mai 2022, n°19-25.513), l’administration fiscale a obtenu du législateur la modification de l’article 787 B du CGI lors du vote de la loi de finances rectificative pour 2022 lequel dispose maintenant que l’animation effective des filiales doit être exercée tout au long de la durée du pacte et non pas seulement comme l’avait jugé la Haute Juridiction, un peu à la surprise générale, jusqu’au jour de la transmission. Il est vrai que le texte de loi était muet sur ce point et que seule la doctrine administrative énonçait expressément cette condition.

C’est dire, au moins pour les transmissions intervenant à compter du 18 juillet 2022 date d’entrée en vigueur de la modification, que l’animation doit être assurée pendant toute la durée des engagements collectif puis individuel, soit en principe six années (ou quatre années lorsque l’engagement est réputé acquis). La loi vise également les transmissions intervenues avant cette date pour lesquels les engagements sont en cours mais cette application rétroactive devra être confirmée par les tribunaux.

Solution alternative

Lorsque le caractère animateur est fragile ou lorsque la pérennité de l’animation dans le temps parait difficile à assurer, prendre l’engagement Dutreil au niveau de la société holding peut donc être un mauvais pari aux conditions financières désastreuses en cas de contrôle fiscal puisque la remise en cause de l’engagement induit alors une majoration de 75% de l’assiette taxable des droits de mutation à titre gratuit.

C’est dans ces circonstances qu’il peut s’avérer plus sage de renoncer à la notion de holding animatrice et de faire usage des facultés offertes par l’article 787-B du CGI afin de faire porter l’engagement de conservation non pas sur les titres de la holding mais sur ceux de la ou des filiales d’exploitation ayant une activité éligible détenus par la holding. L’abattement de 75% est alors appliqué à la seule quote-part de la valeur des titres de la société interposée correspondant à la valeur des titres des sociétés filiales objets de l’engagement de conservation. L’assiette de l’abattement est donc restreinte puisqu’elle ne porte plus sur la totalité de la valeur des titres de la société holding interposée.

Ce mode opératoire permet de sécuriser le bénéficie de l’avantage fiscal qui ne dépend alors plus que de la seule question du point de savoir si les filiales sur lesquelles portent l’engagement ont une activité éligible. La réduction de l’avantage obtenu est totalement négligeable lorsque ne figurent au bilan de la société interposée que les titres de la ou des filiales éligibles et que les autres actifs ont une valeur non significative. En effet, l’assiette de l’abattement est alors quasi équivalente dans les deux situations.

En conclusion, il convient de retenir que le caractère animateur d’une société holding ne se décrète pas par le contribuable : il se constate par l’administration fiscale !

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